L'histoire de l'Alsace à l'école
après la Seconde Guerre mondiale
Dans notre précédent article, nous avons montré en quoi les manuels d’histoire de l’Alsace en usage durant l’entre-deux-guerres étaient des instruments de francisation. Nous verrons ici que cette tendance a continué après 1945, mais aussi qu’une autre approche a été suivie pour la conception d’un manuel destiné aux écoles primaires de Haguenau.
L’Histoire d’Alsace de Pierre Haas
Entre 1940 et 1944, les nazis avaient diffusé une histoire d’Alsace conforme à leurs obsessions, dont témoigne le catalogue d’exposition Das Elsass, Herzland und Schildmauer des Reiches (1942). Après la Libération, la France reprend, en l’intensifiant, sa politique de dégermanisation. Pour l’enseignement de l’histoire régionale, un nouveau manuel est publié, en 1946 : c’est l'Histoire d'Alsace à l’usage des établissements scolaires des premier et second degré. Son auteur, Pierre Haas, est né en 1897 près de Belfort ; instituteur à Strasbourg avant la Seconde Guerre mondiale, il y retourne après le conflit comme professeur de lettres-histoire dans un collège technique.
Le préfacier est un autre enseignant belfortain, Marcel Edmond Naegelen, tout juste nommé ministre de l’Education nationale. Fils d’optant, socialiste et syndicaliste laïque, il avait ferraillé contre les autonomistes avant-guerre. Sa préface annonce les énormités du manuel, notamment lorsqu’il évoque une Alsace médiévale « en lisière et presque en dehors du Saint-Empire ». C’est effectivement ce que l’on peut croire en lisant les 7 leçons que Haas consacre au « moyen âge germanique ». Remarquons qu’il en consacre 9 – sur un total de 34 – à la Révolution et l’Empire ! Après la complainte attendue sur la « domination allemande » de 1871 à 1918, Haas regrette le « préjudice considérable » causé, selon lui, par l’autonomisme alsacien des années 1920-1930.
Le manuel haguenovien d'André Marcel Burg
En 1950 paraît un manuel scolaire local intitulé Haguenau. Histoire d’une ville d’Alsace racontée aux jeunes[1]. Le maire, qui a écrit la préface, s’y présente comme l’initiateur du projet : soucieux de donner à ses administrés une bonne connaissance de leur passé, il a « prié le jeune et actif conservateur de la bibliothèque, des archives et du musée de Haguenau, Monsieur l’abbé Burg, docteur en théologie, d’écrire une histoire de notre ville, destinée aux jeunes d’abord, mais non moins recommandable aux adultes ». Né à Fegersheim en 1913, ordonné prêtre en 1939, André Marcel Burg avait pris ses fonctions de conservateur du musée de Haguenau en 1946.
Couverture du manuel d'histoire de Haguenau d'André Marcel Burg.
Si la préface du maire laisse planer un doute, on remarque en le feuilletant qu’il s’agit bien d’un manuel, avec ses chapitres divisés en sous-chapitres et ses lectures, mais aussi avec un « supplément pédagogique » en fin d’ouvrage. L’histoire présentée par Burg est dépourvue de la vision nationaliste habituelle. L’importance des Alamans dans l’histoire culturelle de l’Alsace est précisée. Une place toute particulière est, naturellement, réservée aux empereurs Hohenstaufen, qui firent édifier à Haguenau un palais dans lequel ils séjournèrent régulièrement (le nom de cette dynastie n’était même pas mentionné par Haas !).
Des stratégies pour aborder les "épisodes sensibles"
Si les empereurs germaniques n’entrent pas dans le « roman national » français, l’histoire de Haguenau comporte, par ailleurs, deux épisodes particulièrement sensibles au regard de ce dernier, puisque les Français y jouent le « mauvais rôle ». Il y a d’abord les deux incendies de la ville par les troupes françaises en février et septembre 1677. Burg dédouane ici la France, qui, explique-t-il, avait simplement réagi, la première fois, à l’avancée des troupes impériales et, la seconde, aux agissements du bandit local Melchior Reiff. L’image de Louis XIV – qui n’est nulle part nommément cité – est sauve !
L’autre épisode sensible, c’est la fuite, en 1793, devant les troupes françaises, d’une grande partie de la population de Haguenau qui préfère suivre les Autrichiens, accueillis deux mois plus tôt comme des libérateurs. L’auteur explique ce ralliement par la politique antireligieuse de la France révolutionnaire. Le complément pédagogique propose aux élèves d’interpréter un dialogue entre deux bourgeois, l’un désireux de fuir, l’autre voulant rester car il a « foi en la nation française ».
Enfin, pour traiter de la période encore taboue du Reichsland, pendant laquelle Haguenau a beaucoup profité de sa situation de ville de garnison, Burg use d’une stratégie intéressante : il ignore le contexte politique et parle uniquement des réalisations du maire de l’époque.
A la fois prudent et audacieux, le manuel scolaire haguenovien est resté une œuvre isolée.
Eric Ettwiller
Agrégé, docteur en histoire
Président d’Unsri Gschìcht
[1] Je remercie Jean-Michel Niedermeyer qui a porté à ma connaissance l’existence de cet ouvrage.
[1] Le second manuel d’histoire de l’Alsace publié en 1920 est la Petite histoire d’Alsace et de Strasbourg à l’usage des écoles, parue chez A. Vix et Cie à Strasbourg.